L'heure à Erevan: 11:07,   3 Mai 2024

La première interview exclusive de l'ambassadeur de Belgique

La première interview exclusive de l'ambassadeur de Belgique

EREVAN, 15 FÉVRIER, ARMENPESS: L'ambassadeur de Belgique en Arménie, Eric De Muynck, voit le potentiel de développer la coopération entre l'Arménie et la Belgique dans plusieurs domaines, soulignant que le travail de l'ambassade de Belgique récemment ouverte à Erevan y contribuera également.

Dans une interview avec la correspondant d'Armenpress à Bruxelles, l'ambassadeur a souligné qu'il voyait un potentiel pour approfondir la coopération entre les deux pays, notamment dans les domaines de l'économie et de la culture. Il voit également un sérieux potentiel de coopération dans les domaines de l'agriculture, du tourisme, de la santé et de l'énergie.

Dans l'interview, l'ambassadeur a évoqué les relations entre l'Arménie et la Belgique, les possibilités de libéralisation des visas de l'UE pour les citoyens arméniens, le projet « Carrefour de la paix » proposé par l'Arménie, les priorités de la Belgique pendant la présidence de l'UE et d'autres questions.

Monsieur l'Ambassadeur, vous êtes en mission diplomatique en Arménie depuis près de six mois, quelles sont vos premières impressions de l'Arménie et du peuple arménien ?

Je suis arrivé à Erevan dans un contexte particulier, mon entrée en fonction en tant que premier ambassadeur-résident de Belgique en Arménie ayant correspondu avec l’opération militaire de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh et l’exode massif de population qui s’en est suivi.

Ces événements ont fortement influencé mon début de séjour ici. Au-delà de ces événements marquants, je dois avouer que de manière générale, je suis impressionné par la facilité avec laquelle les contacts s’établissent, tant avec la population arménienne qu’avec les autorités. Outre l’hospitalité arménienne, cela s’explique par le fait que les autorités belges aient décidé d’ouvrir une ambassade à Erevan et par nos excellentes relations bilatérales et cela depuis longtemps.

Pourquoi était-ce important pour la Belgique d'ouvrir une ambassade en Arménie exactement maintenant ? A quoi est lié le moment de ce choix ?

Votre question est évidemment tout à fait pertinente. On peut se demander, alors que la Belgique entretient des relations diplomatiques avec l'Arménie depuis plus de 30 ans, pourquoi les autorités de mon pays ont-elles décidé d’ouvrir une ambassade à ce moment précis ? Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, le contexte géopolitique a profondément changé, avec, pour ne citer que cet exemple, la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Ces nouveaux défis géopolitiques font courir un risque de déstabilisation accru dans plusieurs régions proches de l’Europe. Dans ce contexte, la relation avec l’Arménie prend un sens tout particulier. L'Union européenne, comme vous le savez, œuvre à plus de stabilité et de prospérité dans le Caucase du Sud. Donc, en ouvrant cette ambassade, nous avons voulu marquer notre soutien et contribuer à cet effort, et c'est le message qui a été partagé par la ministre des Affaires étrangères, Madame Hadja Lahbib, lorsqu'elle est venue en visite officielle ici en Arménie, à la fin de l'été dernier. Ensuite, l’ouverture d’une ambassade est également l’opportunité de développer nos liens bilatéraux, notamment dans le secteur économique mais aussi dans le domaine de la culture. Enfin, comment ne pas rappeler que mon pays compte 30 à 40.000 compatriotes d’origine arménienne, ce qui crée un lien étroit entre l’Arménie et la Belgique que va venir renforcer cette ambassade, je l’espère.

Comment évaluez-vous le stade actuel de développement des relations arméno-belges, à quel niveau se situent les relations bilatérales ? Dans quelles directions les relations entre la Belgique et l'Arménie peuvent-elles se développer, quels domaines ont un grand potentiel mutuel ?

Il y a plusieurs domaines dans lesquels nous pouvons développer notre relation bilatérale. Dès mon arrivée se préparait une mission économique organisée par l'Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers (AWEX), et, de ce fait, j'ai été très rapidement en contact avec de nombreux entrepreneurs arméniens, et j’ai  pu immédiatement observer tout le potentiel de développement de nos relations bilatérales au niveau économique. Pour utiliser une métaphore sportive, j’ai la sensation qu’ici en Arménie, nous boxons un peu en-dessous de notre poids. Il y a certainement des perspectives de collaboration à développer entre les entreprises belges et arméniennes. Le secteur des technologies semble une évidence, avec les événements importants qui seront organisés en 2024 par ce secteur en Arménie, et notamment la World IT Conference à l’automne prochain, à laquelle je l’espère participeront de nombreuses entreprises belges. Mais il existe également de nombreuses opportunités je crois dans les secteurs de la santé, de l’énergie et de la transition vers les énergies vertes sur lesquelles des entreprises belges peuvent se positionner, avec cette aspiration de l’Arménie à être plus indépendante dans ce secteur, l’agriculture, le tourisme, j’en passe. Nous partons évidemment d'une page blanche. Il y a beaucoup de choses à développer mais en étant présent ici, cela permet d'avoir des contacts quotidiens avec des interlocuteurs arméniens et de développer ces liens.

Pour ne vous donner qu’un exemple, l’ambassade a créé pour ce début d’année, en collaboration étroite avec une femme entrepreneur arménienne qui travaille à base de chocolat belge et a été formée notamment par l’entreprise Callebaut, des pralines aux couleurs des deux drapeaux nationaux, en choisissant des goûts spécifiques pour nos deux pays, speculoos et café pour la Belgique, abricot et brandy pour l’Arménie. La créativité et la volonté de collaborer existent, il suffit de saisir les opportunités, et c’est la raison d’être d’une ambassade. Je pense que cet exemple symbolise parfaitement ce que nous essayons de faire ici, au travers d’une ambassade, à savoir développer des liens de collaboration et de créativité au niveau économique notamment, et faire en sorte que nos deux pays se rapprochent et se trouvent des intérêts communs.

Un autre domaine extrêmement dynamique est celui de la culture. J'ai ainsi notamment rencontré peu de temps après mon arrivée la rectrice de l'institut d'État de théâtre et de cinéma d’Erevan, Madame Sara Nalbandyan, et, pour mon plus grand étonnement, elle m'annonçait qu’elle avait déjà de nombreuses collaborations avec des dramaturges belges, et que certains d’entre eux avaient même été traduits en langue arménienne. Elle m'a invité ensuite à visiter l'Institut où, à travers mes échanges avec les professeurs et les étudiants sur leurs thèmes de prédilection et leurs idées, j’ai vraiment pu ressentir une soif de collaborer avec des artistes belges. J'ai travaillé ensuite à mettre l'Institut en contact avec des acteurs culturels belges et notamment le Théâtre de Proche à Bruxelles, mais aussi le Théâtre National, des auteurs et dramaturges belges. Tout cela ne fait que commencer mais je peux déjà vous annoncer maintenant qu’il y aura au printemps deux représentations d’une pièce belge à Erevan ainsi qu’à Gyumri. Nous communiquerons là-dessus plus tard. Je pense que c'est une pièce qui reflète bien la société belge contemporaine, tout en parlant de migration, sujet qui intéresse le public arménien. Dans le domaine culturel, nous essayons aussi avec les Communautés en Belgique, puisque nous sommes un État fédéral et que cette compétence appartient aux Communautés, de développer les liens culturels mais également académiques.

Pour l’instant, la présidence tournante de l’UE appartient à la Belgique. Quelles sont les priorités de votre pays et dans quelle mesure peuvent-elles avoir un impact sur les relations bilatérales ?

Comme vous le savez, c’est la 13ième présidence belge du Conseil de l’Union européenne, la Belgique ayant été le premier Etat-membre à assumer cette fonction, en 1958. La Belgique a dès lors un certain savoir-faire en matière d'organisation des présidences, qui nécessite un travail intense de la part de mes collègues à Bruxelles. Cette présidence a pour particularité de venir en fin de législature et se terminera par des élections européennes le 9 juin prochain, qui coïncideront également avec des élections fédérale et régionales en Belgique.

Le slogan de notre présidence consiste en trois mots : protéger, renforcer et préparer ; objectifs que nous pouvons résumé en une phrase : protéger les citoyens européens tout en renforçant notre économie de manière durable et en préparant l’Europe pour le futur.

Il s'agit d’essayer tout d’abord de faire aboutir les processus législatifs qui sont inscrits dans l’agenda stratégique 2019-2024 de l’Union européenne, mais aussi de préparer l'agenda stratégique de l'Union européenne pour les années à venir. En termes de priorité de la présidence belge, il y en a six au total, qui correspondent évidemment aux grandes ambitions de l'Union européenne, notamment garantir l’Etat de droit, la démocratie et l’unité, renforcer la compétitivité économique de l’Union européenne, poursuivre une transition verte et juste mais aussi œuvrer à consolider l’agenda social européen, à protéger les citoyens européens et les frontières de l’Europe et enfin, imaginer le futur de l’Union européenne, au travers notamment de l’approfondissement et de l’élargissement du projet européen.

Au niveau législatif, mes collègues à Bruxelles sont pareils à des aiguilleurs du ciel dans la tour de contrôle européenne en train d’essayer de faire atterrir le plus de projets possibles. Et cela se passe presque quotidiennement au cours de la présidence, que cela soit la directive pour lutter contre les violence faite aux femmes ouvrant la voie à des sanctions harmonisées au sein de l’Union européenne, le récent accord sur l’aide supplémentaire à fournir à l’Ukraine, ou sur le plan environnemental, la directive sur le droit à la réparation des biens ou les nouvelles règles pour rendre l’espace Schengen plus résilient et faire face aux défis aux frontières extérieures de l’Union européenne ainsi qu’aux menaces transfrontalières pour la santé et la sécurité des citoyens européens.

L’Europe a souvent été considérée, et à bon droit, comme une puissance normative, mais avec les bouleversements géopolitiques actuels, les enjeux géostratégiques pour l’avenir de l’Europe sont également à l’agenda de cette présidence.

 

Ainsi, le second temps de cette présidence concernera donc la préparation de l’agenda stratégique 2024-2029 et le futur de l’Europe. Que cela concerne l’approfondissement ou l’élargissement de l’Europe, le développement du concept d’autonomie stratégique ou le financement de l’Union européenne, et cela pour préparer le travail de la future commission européenne.

Vous avez mentionné dans votre réponse que pour vous c'est une priorité aussi de protéger la zone Schengen. Récemment, à la fin de la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'UE, le haut représentant a annoncé que l'UE commençait à discuter de la question de la libéralisation des visas avec l'Arménie. A quel stade en est ce processus et dans quelle mesure la Belgique est-elle prête à soutenir l'Arménie dans cette affaire ?

C'est un thème central dans les discussions entre l'Union européenne et l'Arménie. Si vous vous rappelez d'ailleurs, le Premier ministre Pachinian, lorsqu'il est intervenu en session plénière du Parlement européen à Strasbourg le 17 octobre dernier, a bien affirmé que l'Arménie était prête à aller aussi loin que possible dans sa relation avec l'Europe.

Un accord de facilitation des visas et de réadmission existe déjà entre l’Union européenne et l’Arménie. Parmi les thèmes qui figurent à l’agenda du nouveau partenariat entre l’Union européenne et l’Arménie, il y a bien sûr celui de la libéralisation des visas, qui implique un certain nombre de réformes. La Belgique est favorable à la poursuite du dialogue à ce sujet.

Vous avez également eu l'occasion de suivre les activités de la mission d'observation de l'UE, quel bilan faites-vous de cette mission ? Selon vous, quelles sont les perspectives des relations UE-Arménie ?

Le rôle de la mission civile, avec laquelle je viens d’effectuer une patrouille dans la province de Vayots Dzor, est d’observer et de rapporter sur la situation sécuritaire le long de la frontière internationale avec l’Azerbaïdjan. Elle contribue également à la sécurité des populations locales affectées par le conflit et à construire la confiance entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La mission européenne entre en contact quotidiennement avec la population locale, dont elle recueille les impressions sur la situation sur le terrain, autant d’informations précieuses pour œuvrer à la déconfliction.

Cette mission est un outil pour accompagner la médiation européenne et avancer vers un accord de paix dans le conflit qui oppose l'Azerbaïdjan à l'Arménie.

Cette mission, qui va bientôt fêter son premier anniversaire le 20 février prochain, s’élargira bientôt, ce dont la Belgique se félicite. Elle est sur le terrain tous les jours, entre en contact avec les populations et en ce sens elle est probablement la partie la plus visible de l’Europe en Arménie.

Dans le cadre du déblocage des communications régionales dans le Caucase du Sud, le gouvernement arménien a présenté le projet Carrefour de la paix, qui consiste à débloquer les communications sur la base des principes de souveraineté, de juridiction et de souveraineté des pays. Quelle est la position de l’UE et particulièrement de la Belgique concernant ce programme ?

Ce projet des autorités arméniennes vise à désenclaver l'Arménie en ouvrant des voies de communication et permettre le développement régional. Il prend nécessairement place dans un processus de normalisation qui doit être mené avec les voisins de l’Arménie et , dès lors, ce projet doit être discuté à ce niveau-là. Ce projet de Carrefour de la paix correspond à cette volonté arménienne d'être plus intégrée dans cette région et de bénéficier d'une paix durable dans la région, notamment en termes économiques.

En parlant de sécurité humaine, je sais que vous étiez très impliqué dans une action humaine, notamment pour que trois artsakhiotes gravement brulés soient soignés en Belgique, dont 2 adolescents et un jeune homme…

Ce geste de solidarité décidé par les autorités belges a marqué profondément le début de ma mission ici en Arménie. J'étais à peine arrivé à Erevan qu’une mission B-FAST (ndr : une structure interdépartementale d’intervention à action rapide qui envoie une aide d’urgence aux pays touchés par des phénomènes naturels ou des catastrophes d’origine humaine) a été programmée. J'ai eu l'occasion, avec les experts envoyés par la Belgique, notamment un chirurgien, un anesthésiste et des infirmières, de visiter plusieurs hôpitaux à Erevan, une expérience profondément marquante. La Belgique a ainsi eu, de manière très concrète, l’occasion de soutenir l'Arménie dans le traitement de ces grands brûlés qui sont aujourd’hui rentrés en Arménie auprès de leurs familles. Nous n’avons pas été les seuls évidemment, et plusieurs pays européens sont ainsi intervenus. Collectivement, nous avons apporté une réponse efficace et solidaire à l’égard du peuple arménien.

Puisque vous avez parlé de la communauté arménienne en Belgique. Beaucoup de ces arméniens voudraient savoir quand l’ambassade belge en Arménie aura un service consulaire ? Autrement dit, pourquoi n’y a-t-il pas une compétence consulaire ?

La décision qui a été prise pour l'instant est d'ouvrir une ambassade sans compétence consulaire. Dès lors, les procédures demeurent les mêmes, à savoir que les demandes pour des visas court-termes sont traitées par nos collègues de l’ambassade d’Allemagne avec laquelle nous avons un accord, alors que les demandes pour des visas long-terme, visas étudiants et regroupements familiaux sont de la compétence de notre ambassade à Moscou. Cependant, notre ambassade reçoit régulièrement des demandes de clarifications sur les procédures à suivre et nous sommes tout disposés à informer le public arménien sur celles-ci. Notre site web renseigne les différents moyens de nous contacter.

Et pour finir, des visites bilatérales de haut niveau sont-elles attendues dans un avenir proche ?

Les contacts bilatéraux sont pratiquement permanents et c'est assez impressionnant. Il y a eu la visite de la ministre des Affaires étrangères, Madame Lahbib, en août dernier. Les rencontres entre les deux ministres des Affaires étrangères sont fréquents. Un sommet consacré à l'énergie nucléaire est organisé à Bruxelles le 21 mars prochain, auquel le Premier ministre Nikol Pachinian a déjà confirmé sa particiaption. Il sera donc présent à Bruxelles, ce qui offrira l’opportunité de rencontres avec les autorités belges.  Avouons-le : le fait d'avoir pour capitale Bruxelles, qui est aussi la capitale de l'Union européenne, facilite grandement ces contacts et pas seulement à haut niveau mais aussi au niveau des entreprises, de la société civile ou des artistes.

C'est votre première interview avec un média arménien, quel est votre message aux lecteurs arméniens ?

Vos lecteurs doivent savoir qu’il existe désormais une ambassade de Belgique à Erevan prête à les accueillir pour répondre à leurs questions, qu'ils sont les bienvenus pour venir partager leurs idées, leurs aspirations afin de renforcer notre relation bilatérale. Je serai ravi de servir ainsi le rapprochement entre nos deux pays.

Pour l’instant, nos locaux temporaires sont situés au sein de l’hôtel Marriott, place de la République, en plein cœur d’Erevan. Nous comptons inaugurer cette année les locaux définitifs de l’ambassade. Celle-ci sera située au centre d’Erevan, non loin du ministère des Affaires étrangères, et sera donc très accessible pour le public qui voudrait nous poser des questions sur la Belgique, s'intéresser au développement de notre relation bilatérale à tous les niveaux, académiques, culturels, économiques. Ouvrir une ambassade est une aventure qui se renouvelle chaque jour !

LILIT GASPARYAN








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